Après la COP30 : Livelihoods appelle à l’intégrité et à l’inclusion sur le marché volontaire du carbone

Par Bernard Giraud, Président et Co-fondateur de Livelihoods, et Eric Soubeiran, Directeur général de Livelihoods

La crise climatique ne concerne pas seulement la hausse des températures ou les phénomènes météorologiques extrêmes : elle concerne les populations. Les petits exploitants agricoles, qui cultivent moins de 2 hectares et produisent un tiers de la nourriture mondiale tout en protégeant certains des écosystèmes les plus importants de la planète, sont en première ligne. Pourtant, ils sont encore trop souvent exclus des solutions conçues pour sauver la planète. Le véritable défi climatique ne consiste pas seulement à réduire les émissions, mais à garantir que celles et ceux qui préservent les terres, restaurent les forêts, régénèrent les sols et revitalisent la biodiversité disposent des ressources et du pouvoir nécessaires pour agir.

Lors de la COP30 à Belém, le monde a vu le marché volontaire du carbone pour ce qu’il est vraiment : un outil vital pour orienter les investissements privés là où ils sont le plus nécessaires, mais aussi un système qui risque d’échouer auprès des personnes qu’il est censé servir. Les règles conçues pour garantir l’intégrité deviennent si rigides qu’elles risquent d’exclure les petits agriculteurs, les communautés autochtones et les organisations locales. Résultat ? Un marché qui privilégie les procédures documentaires aux personnes, et la bureaucratie à l’impact réel.

Avec 15 ans d’expérience sur le terrain avec nos investisseurs, partenaires communautaires et équipes travaillant sur plusieurs continents, nous savons que la crédibilité du marché volontaire du carbone repose sur une intégrité pragmatique plutôt que punitive, et sur une inclusion impactante plutôt que symbolique. La COP30 n’a pas apporté de grande transformation, mais elle a clarifié un point essentiel : l’avenir du marché dépend de sa capacité à s’adapter pour servir ceux qui en ont le plus besoin.

Le changement climatique n’est pas seulement une question environnementale : c’est une crise des moyens de subsistance. Lorsque les sécheresses détruisent les récoltes, que les inondations emportent les maisons et que les forêts disparaissent, ce sont les communautés rurales qui subissent les premiers et les plus graves impacts. Pourtant, ces mêmes communautés détiennent une partie de la solution. Restaurer les terres dégradées, protéger les forêts et renforcer la résilience ne peut se faire sans elles. La question est : allons-nous les laisser agir ?

Le marché volontaire du carbone a été conçu pour apporter un soutien. En mettant un prix sur le carbone, il pourrait canaliser des milliards vers des projets qui restaurent la nature et améliorent les conditions de vie. Pourtant, le marché se trouve aujourd’hui à un carrefour. Les règles élaborées dans des salles de réunion, loin des champs et des forêts où se déroule le travail réel, rendent plus difficile l’accès des communautés au financement dont elles ont besoin. Si nous n’agissons pas maintenant, le marché volontaire du carbone pourrait devenir un outil de plus au service des puissants, laissant les plus vulnérables de côté.

Le marché volontaire du carbone ne résoudra pas à lui seul la crise climatique. Mais c’est l’un des rares mécanismes capables d’orienter les fonds privés vers les personnes et les lieux qui en ont le plus besoin, surtout dans un contexte de réduction des financements publics.

Depuis notre premier projet en 2009, nous avons vu ce qui fonctionne. Les projets menés par les petits agriculteurs et les communautés locales, comme celles qui restaurent les mangroves au Sénégal, relancent l’agroforesterie en Inde et protègent les forêts au Guatemala, prouvent que l’action climatique peut aller de pair avec des paysages plus résilients et des moyens d’existence durables. Mais ces projets sont sous pression. Les règles sur la permanence, le suivi et les droits fonciers deviennent de plus en plus strictes, souvent déconnectées des réalités locales, rendant plus difficile l’accès des communautés au financement carbone. Sans changement, nous risquons de perdre les initiatives qui apportent les plus grands bénéfices, tant pour les communautés que pour la planète.

La COP30 a mis en lumière cette tension. Certains négociateurs ont poussé à assouplir les règles pour plus de flexibilité, tandis que d’autres exigeaient des normes plus strictes, risquant d’exclure les projets menés par les petits agriculteurs confrontés à des délais irréalistes et à des contraintes bureaucratiques lourdes. Notre position est claire : nous défendons l’intégrité, mais une intégrité véritable doit aller de pair avec les réalités des petits agriculteurs et des communautés rurales.

Le passage de la négociation à l’action se fait maintenant. La COP30 a envoyé un double message : la conférence a souligné le rôle croissant du marché volontaire du carbone dans la mobilisation des financements climatiques privés, tout en insistant sur le fait que son efficacité dépend de l’intégrité, de l’inclusion et de l’autonomisation des communautés. Des initiatives comme l’Accélérateur de la mise en œuvre mondiale et l’initiative brésilienne Tropical Forests Forever Facility reflètent cette dynamique, en mettant l’accent sur l’expansion des solutions fondées sur la nature et la protection des forêts avec un leadership local fort.

Pour garantir un impact à long terme, il faudra aborder des questions de gouvernance équitable, de droits fonciers coutumiers et d’intégration des mécanismes de financement carbone. L’engagement à tripler les financements pour l’adaptation d’ici 2035 et à intégrer les solutions fondées sur la nature dans les stratégies nationales marque une avancée, renforçant l’importance d’ancrer l’action climatique dans les communautés et de tirer parti de notre technologie la plus efficace : la nature.

Nous avons des exemples de réussite, mais nous devons maintenant les étendre pour que davantage d’agriculteurs, et la prochaine génération, puissent adopter des pratiques agricoles durables qui profitent non seulement à eux-mêmes et à leurs familles, mais à nous tous. Cela nécessite de simplifier les règles et de les adapter aux réalités du terrain. Notre expérience montre que cela ne compromet pas l’intégrité, bien au contraire. Cela renforce l’adhésion et permet une mise en œuvre durable dans le temps, car des règles comprises sont des règles appliquées. De cette manière, l’inclusion agit comme moteur d’impact, sans sacrifier la rigueur, tout en s’alignant sur les réalités locales et en garantissant une gouvernance véritablement inclusive.

Notre nouvelle Note de Position, publiée avant la COP30, aborde une tension cruciale : l’intégrité sans pragmatisme risque de devenir une intégrité sans impact. Forts de notre expérience, nous proposons de revoir les principes directeurs et d’améliorer le fonctionnement du marché volontaire du carbone.

Premièrement, les méthodologies ne doivent pas refléter une vision unilatérale et doivent être ancrées dans la réalité. Elles doivent refléter la diversité des conditions sur le terrain et être testées et validées par celles et ceux qui les mettent en œuvre. Les véritables progrès découlent d’un dialogue d’égal à égal avec les praticiens locaux, qui permet d’instaurer la confiance, la robustesse et le passage à échelle.

Deuxièmement, nous devons privilégier l’action plutôt que la perfection. La complexité et les exigences rigides conduisent souvent à des hésitations et à des retards, ce qui se traduit par une réduction de la séquestration du carbone, des gains de résilience et des avantages pour les communautés. Le changement climatique ne nous laisse pas le temps d’attendre. Le secteur doit adopter des approches pragmatiques qui privilégient l’action concrète et l’apprentissage itératif plutôt que la sécurité contre-productive qui consiste à attendre des preuves parfaites avant d’agir.

Dans notre Note de Position, nous ouvrons le débat sur des changements concrets, tels que :  une certification dédiée aux projets fondés sur la nature menés par les petits exploitants ; un mécanisme de solidarité pour amortir les risques ; des périodes de crédit réalistes ; une approche pragmatique du suivi et de l’évaluation ; une réforme de la gouvernance des normes avec une participation réelle des praticiens de terrain aux décisions ; des conditions réglementaires et fiscales encourageant l’investissement.

La COP30 n’a pas permis de réaliser une avancée décisive pour le marché volontaire du carbone, mais elle a clarifié les enjeux. Avec son accent sur la transformation des engagements en actions – “la COP de la mise en œuvre” – et en accordant une importance particulière à la justice sociale et au leadership local, la conférence renforce fortement notre vision.

Nous souhaitons un marché volontaire du carbone non seulement efficace, mais aussi équitable : un marché qui autonomise les communautés, s’adapte à leurs réalités et sert véritablement ceux qui préservent les terres et sont les plus touchés par les impacts climatiques.

Ce que nous proposons répond à un besoin largement ressenti par toutes les parties prenantes impliquées dans ce type de projet, qu’il s’agisse de gouvernements, d’entreprises privées, d’organisations non gouvernementales ou d’experts. Aujourd’hui, il est nécessaire de réunir toutes ces parties prenantes et de faire preuve de courage pour mener les réformes nécessaires.

Dans les mois à venir, Livelihoods et ses partenaires s’engageront auprès des standards de certification, des investisseurs et des gouvernements pour transformer cette vision en réalité, en apportant l’expérience du terrain dans les salles où les règles sont élaborées.

Lisez notre Note de Position, partagez notre message et aidez-nous à créer le changement. Le succès du marché volontaire du carbone ne se mesurera pas en crédits échangés, mais en vies transformées.

Par Bernard Giraud, Président et Co-fondateur de Livelihoods, et Eric Soubeiran, Directeur général de Livelihoods


Le 5 novembre 2025, nous avons organisé notre premier Livelihoods Rendez-vous, qui a réuni environ 200 personnes à Paris et en ligne, afin de présenter et de discuter de notre Note de Position sur un marché volontaire du carbone plus inclusif pour les petits exploitants agricoles.

Visionnez l’événement complet ici: