Récits du Terrain :
Bernard Giraud Réfléchit à l’Impact de Livelihoods à Sumatra

L’île de Sumatra en Indonésie est connue pour sa riche biodiversité et abrite cinq principales éco-régions : les forêts marécageuses d’eau douce de Sumatra, les forêts tropicales de plaine, les forêts tropicales de montagne, les forêts marécageuses de tourbières et les mangroves du plateau de la Sunda. Les projets de Livelihoods couvrent trois de ces éco-régions.

Bernard Giraud, président et cofondateur de Livelihoods Venture, revient d’une visite terrain de trois projets transformateurs que nous mettons en œuvre sur l’île de Sumatra, en Indonésie. Il partage ses réflexions sur les défis et les succès observés lors de ces visites, et nous fait part des efforts fournis par les équipes Livelihoods et nos partenaires locaux pour aborder les enjeux environnementaux et sociaux dans la région.

Comment agit Livelihoods pour allier justice sociale et préservation de l’environnement sur l’île de Sumatra ?

Bernard Giraud : « Livelihoods a commencé à investir à Sumatra il y a environ quinze ans. Au départ, nous avons soutenu Yagasu, une ONG locale qui a restauré les mangroves sur la côte Est, entre Medan et Banda Aceh, qui étaient alors gravement endommagées par le développement intensif de l’aquaculture et le tsunami qui a frappé l’île en 2004. Nous avons ensuite travaillé en partenariat avec des entreprises internationales et indonésiennes pour aider des milliers de petits producteurs de palmiers à huile à développer des modèles de production durable.

Bernard Giraud en visite terrain : projet huile de palme, nord de Sumatra.

Récemment, nous avons décidé d’investir dans un projet agroforestier à grande échelle dans la province d’Aceh. Notre objectif est d’aider à protéger le parc Leuser, un écosystème particulièrement riche en biodiversité, en travaillant avec les producteurs de café qui vivent dans les environs. À partir de septembre, nous planterons plusieurs millions d’arbres pour fournir de l’ombre aux plantations de café, régénérer le sol et diversifier les revenus de 10 000 petits producteurs et de leurs familles. »

Bernard Giraud and Sebastien De Royer
Bernard Giraud, Président de Livelihoods Venture, accompagné de Sébastien De Royer, Responsable Senior de Projet chez Livelihoods, en discussion avec une cultivatrice de café dans la zone du projet Leuser.
Les équipes de Livelihoods et de Leuser Foundation en visite sur les parcelles de café dans la zone du projet Leuser, en juin 2024.

Pourquoi est-ce que Livelihoods s’engage auprès des plantations de palmiers à huile, une industrie controversée en Europe ?

B. Giraud: « La production d’huile de palme s’est considérablement développée en Indonésie, faisant du pays l’un des principaux producteurs mondiaux. Le palmier à huile est productif toute l’année, et permet des utilisations industrielles diversifiées à des coûts de production relativement bas. Cependant, ce succès économique s’est fait au détriment des zones forestières. La frénésie de plantation a conduit à des pratiques néfastes, comme la plantation de palmiers dans des tourbières asséchées et souvent brûlées, ainsi que le remplacement des riches écosystèmes tropicaux par de vastes monocultures de palmiers.

En parallèle, l’économie de l’huile de palme a créé des millions d’emplois locaux dans la production et la transformation. Bien que nous ne puissions revenir sur le passé, le gouvernement indonésien et tous les acteurs de l’industrie de l’huile de palme partagent une responsabilité : préserver et restaurer les zones naturelles riches en biodiversité et guider les producteurs de palmiers vers des pratiques durables. Cela inclut le renouvellement des anciennes plantations et l’évitement de la conversion de nouvelles zones forestières. Les systèmes de certification comme la RSPO (la Table ronde sur l’huile de palme durable) ont contribué à limiter la déforestation, mais la certification seule est une initiative insuffisante si on n’investit pas dans des systèmes de production d’huile de palme véritablement durables. Soutenir les petits exploitants, qui manquent des ressources techniques et financières pour cette transition, est crucial. C’est l’objectif du projet Livelihoods à Sumatra. »

Quelles leçons peut-on retenir de ces projets et sur ces 15 dernières années ?

B. Giraud: “J’ai été impressionné par les progrès réalisés en relativement peu de temps. Il y a cinq ans, lorsque je demandais aux producteurs : “De quoi avez-vous le plus besoin ?”, beaucoup répondaient : “D’engrais chimiques pour augmenter nos rendements.” Compter sur les intrants chimiques pour compenser l’épuisement des sols dû à la monoculture n’est une pas solution agronomique durable, ni économique.

Ce que j’observe désormais est bien plus encourageant : les petits exploitants adoptent des pratiques qui restaurent la matière organique du sol, telles que la production de compost à grande échelle, les couverts végétaux et les méthodes biologiques de lutte contre les ravageurs et les maladies. Ces nouvelles pratiques durables sont encore minoritaires mais attirent de plus en plus de producteurs car elles offrent de bons rendements tout en réduisant les coûts. Généraliser ces pratiques est possible lorsque les agriculteurs se rendent compte des avantages qu’ils en retirent à court mais aussi à long terme.

Jeune exploitant agricole indépendent dans la zone de projet de Livelihoods.

J’ai également observé une plus grande convergence entre les dirigeants du secteur public et privé pour trouver des compromis réalistes afin de répondre au dilemme politique difficile : devons-nous protéger la nature ou créer de la richesse économique et sociale pour les populations locales ? Les lois de protection des forêts et les interdictions de plantations commerciales ne sont pas universellement appliquées. Pour autant, elles progressent. La pression des consommateurs internationaux contribue à faire évoluer les choses. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour restaurer les zones forestières dégradées et mobiliser des ressources financières à la hauteur du défi. »

Quels sont les principaux facteurs de succès des projets Livelihoods ?

B. Giraud: « Nous devons rester modestes : nous faisons face à des défis importants et opérons souvent dans des contextes complexes. Bien qu’il n’y ait pas de solution magique, notre expérience montre qu’il est possible de faire bouger les lignes. Il faut un engagement fort et une approche axée sur les résultats pour conduire le changement. Notre approche repose généralement sur trois piliers.

Tout d’abord, nous construisons des coalitions opérationnelles avec des acteurs profondément impliqués dans le projet. Dans le cadre du projet palme de Livelihoods, cette coalition comprend des entreprises telles que Danone, Mars, L’Oréal et L’Occitane qui se sont engagées à s’approvisionner en matières premières auprès des petits producteurs indépendants du projet sur plusieurs années. Musim Mas, un important fournisseur indonésien pour ces marques, s’approvisionne auprès de ces petits producteurs. SNV, une ONG internationale très ancrée localement, met en œuvre le projet sur le terrain, tandis que l’ICRAF, une institution de recherche spécialisée en agroforesterie, fournit un soutien technique. Ces équipes travaillent étroitement ensemble et se réunissent régulièrement sous le Comité de pilotage du projet.

Deuxièmement, nous restons proches des réalités du terrain. Les responsables de projet de Livelihoods travaillent main dans la main avec nos partenaires locaux pour développer et mettre en œuvre des solutions adaptées aux contextes locaux. Ils s’appuient sur l’expertise de l’équipe de Livelihoods, y compris des agronomes, des forestiers, des spécialistes agricoles, des experts en développement rural, des professionnels de l’impact carbone et biodiversité.

Troisièmement, nous mettons l’accent sur l’innovation financière. Nos entreprises partenaires s’engagent à transformer leurs opérations, visant la neutralité carbone ou l’agriculture régénératrice dans leurs chaînes d’approvisionnement. Nous les aidons à amplifier ces efforts de manière abordable grâce à des modèles d’investissement qui impliquent des entreprises privées, des institutions publiques, le financement carbone et les paiements pour services environnementaux. »

L’approche Livelihoods en vidéo :