Interview
15 ans d’action en Inde :
les perspectives de Livelihoods sur le terrain

Depuis 2009, les Fonds Carbone Livelihoods investissent dans des solutions à grande échelle basées sur la nature, en travaillant étroitement avec les communautés locales à travers l’Inde. Récemment, Bernard Giraud, Président et Co-fondateur de Livelihoods, et Eric Soubeiran, le nouveau Directeur Général, ont visité quatre projets clés : la restauration des mangroves dans les Sundarbans (Bengale-Occidental), les plantations de mûriers pour la fabrication de soie au Jharkhand, et des initiatives agroforestières en Andhra Pradesh et au Tamil Nadu. Quel impact ces projets ont-ils généré pour les communautés et les écosystèmes naturels ? Quels ont été les facteurs clés de leur succès, et quels ont été les défis ?

Dans cet entretien, Bernard et Eric reviennent sur leur récente visite sur le terrain et partagent leurs réflexions.

Q : Quelles ont été vos principales impressions lors de cette visite sur le terrain ?
Eric Soubeiran, CEO of Livelihoods
Eric Soubeiran, Directeur Général de Livelihoods

Eric : « Ce qui m’a le plus frappé, c’est la forte cohérence entre la mission de Livelihoods, connecter l’impact social et l’impact environnemental, et les résultats concrets que nous observons sur le terrain. Par exemple, dans les Sundarbans, la protection des mangroves améliore non seulement l’environnement local en empêchant l’intrusion d’eau salée, mais elle procure aussi des avantages tangibles aux communautés locales.

Les moyens de subsistance des habitants s’améliorent grâce à une meilleure connexion aux marchés locaux, et la terre est utilisée de manière plus durable. De même, avec le programme de la soie Tasar, les communautés développent de nouvelles activités génératrices de revenus grâce à la culture de la soie, et elles sont enthousiastes à l’idée d’élargir leurs activités parce qu’elles voient comment la nature peut soutenir leurs moyens de subsistance. C’est là que Livelihoods excelle vraiment et se distingue. »

Bernard Giraud, Président et Co-fondateur de Livelihoods, visite terrain du projet Ayyalur au Tamil Nadu : dégustation de miel

Bernard : « Ce que Eric souligne ici est l’un des principes fondamentaux de l’approche de Livelihoods depuis le lancement de nos premiers fonds carbone : ces projets de restauration de la nature ne peuvent réussir sans une forte motivation et un engagement des communautés locales. Les femmes qui ont planté des millions de mangroves sur les îles Sundarbans comprennent que les mangroves protègent les digues lors des cyclones. Les agriculteurs d’Araku cultivent du café de haute qualité à l’ombre des arbres. Au cœur de chaque projet Livelihoods se fixe pour objectif concret d’améliorer la vie des agriculteurs et de leurs familles en générant des revenus et en renforçant la résilience des terres face aux impacts du changement climatique.

Ces plantations et les milliers d’hectares restaurés jouent également un rôle essentiel dans le stockage de grandes quantités de CO2 dans les arbres et le sol. Pour nous, les intérêts des communautés locales et de la planète doivent s’aligner pour que nous réussissions. »

Q : Comment Livelihoods implique-t-elle les communautés locales dans ses actions collectives ?


Eric : « L’engagement des communautés locales est une partie essentielle de l’approche de Livelihoods. Il ne s’agit pas seulement de mettre en œuvre des projets, mais de faire participer très concrètement les communautés à la fois à la planification et à l’exécution. Nos programmes réussissent parce que nous nous concentrons sur les agriculteurs, souvent des milliers de personnes, et nous les aidons à comprendre comment ils bénéficieront du travail. Par exemple, à Ayyalur, nous avons vu les communautés activement impliquées lors de la phase de recrutement, et nous avons utilisé des techniques joyeuses pour aider les gens à apprendre à planter des arbres, rendant l’expérience à la fois éducative et engageante, par exemple avec des chansons locales de plantation. Il s’agit de créer un réseau local avec les villageois, les agriculteurs, les autorités locales et les leaders communautaires. Nous avons aussi beaucoup appris de nos projets en Afrique et au Rwanda, en échangeant les meilleures pratiques sur la manière d’impliquer les communautés et de partager les connaissances. Ce type d’implication des communautés et de transfert de savoirs est vraiment une expertise que nous avons développée au fil des ans. »

Q : Quels défis Livelihoods a-t-elle pu rencontrer avec ces projets en Inde ?


Bernard : « Mettre en œuvre des projets à grande échelle impliquant des milliers de petits agriculteurs n’est jamais facile. Même avec une planification minutieuse et des études détaillées avant le lancement, il y a souvent un écart entre les plans et la réalité sur le terrain. Par exemple, un cyclone peut dévaster les plantations, ou le bétail peut brouter les jeunes plants pendant que les villageois sont confinés lors de la crise du Covid. Maintenir une relation étroite avec les agriculteurs sur des milliers d’hectares nécessite une organisation et une gestion solides. Avec le recul, alors que certains de nos projets ont maintenant quinze ans, nous pouvons voir que ces initiatives ont résisté à l’épreuve du temps. Des solutions ont été trouvées grâce à la qualité de nos partenaires, leur persévérance et leur compréhension profonde des communautés locales. Cela a également été possible grâce à la coopération extraordinaire entre les équipes de Livelihoods et nos partenaires. Nous sommes tous dans le même bateau. Notre responsabilité va au-delà du simple financement d’un projet ; nous nous engageons à livrer des résultats et à assurer la mise en œuvre réussie des projets. »

Q : Quel impact avez-vous observé sur le terrain lors de votre visite ?


Eric : « L’impact que j’ai vu était multiple. Tout d’abord, il y a le stockage de carbone qui se produit à travers nos projets, et qui est au cœur de ce que nous faisons. La restauration des mangroves dans les Sundarbans est un exemple parfait de la manière dont ces écosystèmes peuvent agir comme des puits de carbone. Ensuite, nous avons vu de réelles améliorations de la biodiversité dans des endroits comme les Sundarbans et la restauration des terres dans le cadre de notre projet agroforestier avec l’ONG PRADAN, où la fertilité des sols est en train d’être restaurée. Il y a aussi un impact économique clair, le projet au sein de la forêt d’Ayyalur est encore au début de son parcours, mais nous espérons qu’il augmentera considérablement les revenus des agriculteurs. Au-delà des impacts environnementaux et économiques, ce qui m’a vraiment frappé, c’est la fierté ressentie par les communautés locales. Dans les Sundarbans, par exemple, les agriculteurs ont créé Badabon Harvest, une initiative qui leur permet de gérer leur propre entreprise, générant des revenus grâce à des pratiques durables. Ce sentiment de réussite collective est puissant, et nous voyons une fierté similaire dans des endroits comme Araku avec son café et les producteurs de soie Tasar. »

Q : L’Inde et le sous-continent indien sont-ils une priorité pour Livelihoods ? Que pouvez-vous apporter au pays, et de quoi avez-vous besoin pour réussir ?

Eric : « L’Inde est un axe stratégique pour Livelihoods. La diversité des terres, des écosystèmes et des communautés ici offre des opportunités uniques pour des projets à fort impact. Le pays fait également face à d’importants défis liés au changement climatique, et nous pensons pouvoir faire une réelle différence. Nous avons une équipe locale fantastique et de solides partenariats qui nous permettent d’explorer de nouvelles idées et d’élargir notre impact. Nos initiatives agroforestières, par exemple, sont essentielles pour réduire les risques et améliorer la résilience des communautés agricoles. L’Inde restera une zone géographique clé pour nous à mesure que nous continuons d’élargir notre travail, et je suis enthousiaste à propos des opportunités futures ici. »

Bernard : « Nous avons construit des relations solides et durables avec l’Inde et nous nous engageons sur le long terme. Grâce à l’expérience que nous avons acquise en travaillant avec nos partenaires indiens, nous sommes maintenant en mesure d’étendre ces bénéfices à de nombreuses autres communautés, contribuant modestement mais réellement au développement durable du pays. Notre travail est en adéquation avec les priorités climatiques fixées par le gouvernement fédéral et les états dans lesquels nous intervenons. Nous sommes en mesure de mener à bien les projets de Livelihoods grâce à la confiance que nos investisseurs placent en nous, des entreprises engagées dans la réalisation de l’objectif zéro émission nette de carbone. Pour ces investisseurs, il est crucial d’avoir des régulations claires et stables concernant les droits carbone. »

Q : Un mot de conclusion sur les prochaines étapes pour Livelihoods ?


Bernard : « Dans un contexte international où les projets carbone sont parfois critiqués, les projets de Livelihoods en Inde fournissent une preuve concrète que ces initiatives peuvent avoir un impact positif non seulement sur le climat, mais aussi sur les communautés locales. C’est précisément parce qu’ils répondent à la fois aux besoins économiques et sociaux qu’ils réussissent. Cette conviction est le fondement de Livelihoods depuis sa création. Je suis profondément convaincu du potentiel immense de cette approche à l’échelle mondiale. Le succès ne peut être atteint qu’en déployant des solutions bénéfiques à la fois pour la nature et pour les populations qui en dépendent. »


Eric : « C’est un honneur de servir en tant que Directeur Général de Livelihoods, surtout grâce aux équipes et partenaires extrêmement engagés que nous avons à travers le monde. Je suis profondément reconnaissant de la confiance et de la loyauté de nos investisseurs, qui sont prêts à s’engager dans des projets à long terme, souvent pour 20 ans ou plus. C’est une grande responsabilité, mais aussi un grand privilège. Ce qui m’enthousiasme le plus, c’est de voir à quel point notre équipe est passionnée et motivée, et la forte confiance que nos investisseurs ont en notre capacité à livrer. C’est cette confiance et cette collaboration qui nous permettront de continuer à avoir un véritable impact durable sur le terrain. »