Régénérer l’arbre à beurre

Livelihoods lance un projet d’approvisionnement durable en karité au Ghana, pour soutenir 13 000 femmes agricultrices

Dans les pays occidentaux, le karité et plus spécifiquement le beurre de karité, est connu pour être un produit d’origine naturelle, aux vertus hydratantes et nutritionnelles dites « exceptionnelles ». Particulièrement prisé dans les industries alimentaire et cosmétique, le karité est un marché en plein essor. Au cours des vingt dernières années, l’industrie mondiale du karité a fait un bond de 600% [1]. Mais dans les savanes de l’Afrique sahélienne où pousse naturellement l’arbre à karité, cette filière est avant tout une source de revenus pour 16 millions de femmes qui récoltent chaque année des millions de noix de karité.

Dans le nord du Ghana, quatrième pays producteur de noix karité au monde, le karité est une opportunité économique pour 470 000 femmes agricultrices qui collectent les noix à la saison des pluies. Mais les défis qu’elles doivent relever sont nombreux : dans un environnement particulièrement aride, la rareté des pluies a conduit à des terres agricoles pauvres, à des rendements imprévisibles et à une insécurité alimentaire qui en font la région la plus pauvre du pays. Connaissant mal les exigences du marché international du karité, les femmes sont souvent poussées à vendre leur collecte sur les marchés locaux, à un faible prix. De plus, le karité étant un travail saisonnier, les revenus qu’elles obtiennent arrivent souvent trop tard dans l’année pour subvenir aux besoins de leurs activités familiales et agricoles.

Comment assurer un approvisionnement durable et de qualité en noix de karité, dans un marché en pleine croissance ? Comment aider les femmes du karité à tirer un meilleur profit de leurs récoltes ? Comment développer avec elles de nouvelles opportunités économiques pour palier la saisonnalité du karité ?

Le Fonds Livelihoods pour l’Agriculture Familiale (L3F) relève le défi en lançant un programme de dix ans qui rassemble une coalition d’acteurs majeurs de la chaîne de valeur du karité au Ghana : Mars Incorporated (entreprise mondiale à la tête de marques célèbres de confiserie, d’aliments ainsi que de produits et services pour animaux de compagnie), AAK (premier fournisseur mondial en huiles et graisses végétales à valeur ajoutée, et fournisseur de Mars pour le karité), USAID (l’Agence américaine pour le développement international et co-financeur du projet) CARE (organisation humanitaire mondiale œuvrant pour le développement social et économique des femmes du karité au Ghana et partenaire de USAID pour la mise en œuvre du projet), et l’ONG locale Presbytarian Agricultural Services, qui travaille étroitement avec les communautés rurales et agricoles au Ghana, notamment dans la filière karité depuis 50 ans.

Le projet vise à mettre en place une chaîne d’approvisionnement durable du karité dans le district de Gonja Est, situé dans la région du nord au Ghana, pour améliorer les revenus de 13 000 femmes, booster la production agricole et diversifier leurs sources de revenus, tout en préservant l’écosystème naturel des arbres à karité menacé dans cette zone particulièrement aride.

L’arbre à karité : une source de revenus pour 16 millions de femmes en Afrique sahélienne

Carte du continent africain montrant les pays situés dans la ceinture de karité

Le karité est un arbre fruitier qui pousse à l’état naturel dans les savanes de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale, sur la bande sahélienne, aussi appelée la « ceinture du karité ». Il s’agit d’une zone qui s’étend du Sénégal en Afrique de l’ouest, au Soudan à l’est et jusqu’aux hauts plateaux éthiopiens. Etonnamment, cet arbre ancestral n’a jamais poussé ailleurs.  La production de karité est donc concentrée dans 21 pays africains [2], y compris au Ghana : la région nord du pays étant située dans la ceinture du karité. Arbre ancestral, le karité est cultivé depuis des millénaires par les femmes africaines, qui utilisent les noix de karité dans la fabrication de produits cosmétiques et pharmaceutiques mais aussi dans la cuisine.

Le cycle de croissance de l’arbre à karité est particulièrement long, car il ne commence à porter des fruits qu’à partir de 15 à 20 ans.  Les fruits et les rendements augmentent avec la maturité de l’arbre, vers 45 ans, pour atteindre un pic entre 100 et 200 ans avant de décliner lentement.

Les arbres à karité poussent principalement dans des parcs arborés : des systèmes agroforestiers qui associent jachère et culture. Ces parcs agroforestiers riches en arbres à karité constituent le système agricole le plus courant dans cette zone particulièrement aride et ils occupent la superficie de plus d’un million de kilomètres carrés où vivent 112 millions d’hommes et femmes. L’arbre a karité pousse également dans les forêts voisines, plus difficiles et dangereuses d’accès pour les femmes qui collectent les noix.

Les femmes collectent les noix de karité tombées au sol au sein des parcs agroforestiers ou dans les forêts avoisinantes.

Tous les ans, les femmes récoltent les noix de karité durant quatre mois, de mai à août, soit la saison des pluies. Lorsque les noix deviennent mûres, elles deviennent brunes et tombent naturellement au sol. Les femmes ramassent les noix tombées de l’arbre, aussi bien dans les parcs arborés que dans les forêts plus lointaines pour augmenter leur production.

Au Ghana, la production moyenne de noix de karité est de 94 000 tonnes par an, ce qui en fait le quatrième pays producteur au monde. Au total, 470 000 femmes participent à la collecte des noix au Ghana : après la récolte, elles trient, sèchent, étuvent, stockent et vendent les noix sur les marchés ou aux clients locaux, en échange d’un revenu qui contribue à subvenir aux besoins alimentaires de leur famille, à l’éducation des enfants ou aux frais médicaux. Très souvent, ces revenus contribuent également à satisfaire les besoins essentiels de la communauté. Mais la production de karité est cyclique, avec deux bonnes saisons de récolte suivies d’une mauvaise. Pour cette raison, le karité qui représente 30 à 40% des revenus des femmes, reste une source économique instable d’une saison à l’autre.  

Un marché en pleine croissance pour les industries cosmétique, médicinale et alimentaire

La pulpe des fruits de l’arbre à karité sont de couleur vert clair

Bien que toutes les parties de l’arbre servent à différents usages (ses feuilles, son écorce, ses racines…) les fruits et les noix de karité sont les parties les plus économiquement intéressantes. Similaires à des olives vertes, les fruits du karité ont une peau extérieure vert clair, qui protège une pulpe charnue, comestible et sucrée. A l’intérieur, une coque contient l’amande de karité, qui à son tour contient un noyau gras.

Dans tous les pays d’Afrique occidentale et centrale, les noix sont aussi largement utilisées dans l’alimentation comme graisse alimentaire, mais aussi à des fins médicinales comme hydratant naturel pendant la saison sèche, et pour les soins de peau des jeunes enfants. Mais même si le karité est connu en Afrique sahélienne depuis des milliers d’années, la demande internationale a augmenté de façon spectaculaire sur ces deux dernières décennies : l’exportation des noix est passée de 50 000 tonnes à plus de 300 000 tonnes [3] en volume sur la période.  

A maturité, les noix de karité deviennent brunes

Et la filière est sur le point de croitre de nouveau de 50% d’ici à 2025. Dans les pays occidentaux, 90% des noix de karité exportées d’Afrique sahélienne sont transformées dans l’industrie alimentaire. Les noix de karité sont utilisées pour produire de la graisse végétale qui est utilisée dans la fabrication du chocolat et d’autres produits de confiserie. Les 10% restants des volumes exportés sont utilisés dans l’industrie cosmétique, où le beurre de karité, apprécié pour ses qualités hydratantes est utilisé dans des produits pour les soins de la peau ou des cheveux par exemple.

Dans la région du nord du Ghana, le karité est une activité de dur labeur, mais une source de revenu nécessaire pour lutter contre la pauvreté

Le nord du Ghana est une région rurale et aride où l’agriculture et la collecte du bois sont les principaux moyens de subsistance des femmes qui travaillent le karité. Il s’agit de leur activité principale la majeure partie de l’année, mais leurs tâches quotidiennes consistent également à s’occuper de leur foyer, de l’éducation et de la santé des enfants, de la cuisine et du nettoyage.

Ici, l’agriculture est principalement réservée aux hommes, tandis que le karité est une activité de femmes. Une source de revenus nécessaire pour subvenir aux besoins de toute la famille. Les femmes sont généralement impliquées dans les activités en amont de la chaîne de valeur, de la collecte des noix à la transformation. Mais elles se considèrent d’abord comme des agricultrices, et le karité est une activité secondaire qui se déroule pendant la saison des pluies, de mai à août. Les arbres à karité sont le plus souvent disponibles dans les fermes de leurs maris, ou dans les fermes d’autres membres de la famille, mais aussi plus loin, dans les forêts et les buissons, qui sont plus difficiles d’accès.

ETAPE 1 : RECOLTER LES NOIX

La première étape de la chaîne de valeur du karité commence par la collecte des noix de karité, qui, lorsqu’elles sont suffisamment mûres, tombent naturellement des arbres. Les femmes commencent la collecte très tôt le matin, afin de pouvoir faire face à leurs tâches familiales et agricoles habituelles. Elles parcourent en moyenne 5 à 10 kilomètres pour atteindre les parcs de karité. N’ayant pas de moyen de transport, elles doivent porter sur leur tête jusqu’à 30 kilos de noix de karité avant de revenir chez elles pour l’étape de transformation.

Le projet Women in Shea Initiative aidera les femmes à collecter plus de noix et à réduire la charge des sacs de noix car elles bénéficieront de moyens de transports adaptés.

ETAPE 2 : ETUVER LES NOIX

La deuxième étape consiste à étuver les noix pour éviter qu’elles ne germent. Les femmes utilisent une grande marmite au-dessus d’un fourneau traditionnel à trois pierres pour faire bouillir l’eau, ce qui consomme d’importantes quantités de bois et d’eau. Dans le nord du Ghana, la transformation traditionnelle des noix en 1 kg de beurre de karité nécessite en moyenne 9 litres d’eau et 3,3 kilos de bois.

Les foyers améliorés distribués à toutes les femmes bénéficiaires du projet permettront de réduire la consommation d’eau, de bois ainsi que les fumées toxiques, préservant ainsi leur santé.

ETAPE 3 : FAIRE SECHER LES NOIX

Troisièmement, les femmes doivent sécher leurs noix de karité humides. Les noix sont étalées sur le sol dans leur maison, mais lorsqu’elles manquent d’espace, elles étalent les noix en extérieur. Mais la saison des pluies présente un réel défi pour cette étape de séchage qui peut ainsi durer plusieurs semaines.

Le projet permettra de mettre en place de nouvelles techniques et outils, tels que des lits de séchage pour surélever les noix et éviter les risques d’humidité.

ETAPE 4 : DECORTIQUER LES NOIX

Ensuite, vient l’étape de décorticage : les femmes décortiquent les noix à l’aide d’un bâton de bois pour briser chaque morceau de la coque extérieure. Elles tamisent les coquilles en versant les noix d’un bol à l’autre : sous l’effet de la gravité, les morceaux de coquilles tombent sur le sol. Le décorticage est une activité fatigante mais sociale. Une fois que les noix de karité sont suffisamment sèches, les femmes les stockent généralement chez elles, avec d’autres produits de la ferme. Mais l’humidité peut s’infiltrer dans les sacs lorsqu’ils sont stockés sur le sol ou contre les murs, ce qui affecte la qualité des noix.

Les femmes accèderont aux formations et outils nécessaires pour simplifier le dé-cortiquage des noix et en réduire la pénibilité de cette tâche.

ETAPE 5 : STOCKER LES NOIX DANS UN ENDROIT SEC

Une fois que les noix de karité sont suffisamment sèches, les femmes les stockent généralement chez elles, avec d’autres produits de la ferme. Mais l’humidité peut s’infiltrer dans les sacs lorsqu’ils sont stockés sur le sol ou contre les murs, ce qui affecte la qualité des noix.

S’appuyant sur les formations et l’expérience de AAK dans la zone du projet, l’initiative « Women in Shea » aidera les femmes à adopter de bonnes pratiques et utiliser les outils nécessaires pour soulever les sacs du sol et garantir leur qualité.

ETAPE 6 : COMMERCIALISER LES NOIX SUR LES MARCHES LOCAUX

Enfin, les femmes vendent leurs sacs de noix à des acheteurs locaux (des intermédiaires ou des  femmes du marché), y compris aux agents de AAK qui préfinancent le plus grand nombre de sacs possible pour soutenir les besoins financiers  des femmes du karité. AAK, premier producteur mondial d’huiles et de graisses végétales de spécialité et de semi-spécialité, a été particulièrement actif dans la région pour stimuler l’approvisionnement durable en karité. Aujourd’hui, chaque femme qui produit du karité vend environ 120 kilos de noix à AAK. Lancé en 2009 au Burkina Faso puis au Ghana, le programme de AAK appelé « Kolo Nafaso » (« la maison des bénéfices des noix de karité »), aide les femmes à obtenir un prix équitable sans intermédiaire et leur fournit un préfinancement avant le début de la saison du karité pour leur permettre d’obtenir un revenu durable en saison sèche. À ce jour, cette initiative a déjà touché plus de 300 000 femmes bénéficiaires dans quatre pays.

Dans le cadre du projet, des solutions de paiement sur mobile proposées aux femmes leur permettront de gagner en autonomie financière, tandis que le développement d’activités agricoles pluviales les aideront à augmenter leurs rendements et à générer une nouvelle source de revenus en saison sèche.

Le projet Livelihoods dans le nord du Ghana : construire une chaine d’approvisionnement durable pour améliorer les conditions de vie de 13 000 femmes du karité

En partenariat avec Mars, AAK, USAID, CARE et l’ONG locale Presbytarian Agricultural Services, le Fonds Livelihoods pour l’Agriculture Familiale lance un projet d’approvisionnement responsable à grande échelle afin de soutenir 13 000 femmes productrices de karité dans la région nord du Ghana. Ce projet à grande échelle, la « Women in Shea initiative », s’appuiera sur l’initiative locale déjà mise en place par AAK pour :

Améliorer l’efficacité de la production de karité et la qualité des noix afin d’augmenter les revenus des agricultrices

Le projet permettra de leur fournir les outils, les formations et le soutien nécessaires pour les aider à augmenter la quantité de noix de karité collectées ainsi que leur qualité. L’objectif étant d’augmenter leurs revenus. Par exemple, de nouveaux moyens de transport les aideront à transporter plus de noix lors de la collecte, à gagner du temps et à réduire la charge leur charge de travail. Chaque femme sera équipée d’un foyer amélioré qui les aidera à réduire leur exposition aux fumées toxiques lorsqu’elles font bouillir les noix, ainsi que leur consommation en bois et en eau. Des outils et des méthodes simples, tels que l’utilisation de lits de séchage pour élever les noix du sol, permettront de réduire les risques d’humidité tout en assurant la qualité des noix.

Aider les femmes à booster, diversifier leur production agricole et créer une nouvelle source de revenus, complémentaire à la filière karité

Le projet consiste également à soutenir les activités agricoles des femmes pendant la saison sèche pour diversifier leurs sources de revenus. Des formations sur les pratiques agricoles durables qui permettront de régénérer le sol dans une zone particulièrement aride permettra d’augmenter les rendements, tandis que le don de semences (ex. céréales, plants… semences d’arbres…), contribuera à leur sécurité alimentaire et leur permettra de vendre une partie de leur production sur de nouveaux marchés.

Améliorer la gestion des ressources naturelles pour préserver les parcs arborés du karité, durablement

Sur la bande subsahélienne, les parcs arborés de karité sont menacés par une exploitation croissante des terres. Le karité est fréquemment utilisé comme le bois de chauffage et le charbon de bois. Cependant, en l’absence de jachère pour la régénération, le déclin des arbres est aujourd’hui une menace majeure pour cet écosystème fragile.  Le projet Livelihoods permettra de mettre en place un modèle de préservation et gestion durable des arbres auprès de 10 communautés locales, démontrant que la préservation des arbres va de pair avec des conditions de vie améliorées. Les activités du projet comprennent l’apiculture, la régénération naturelle assistée et l’augmentation de la densité des arbres dans les parcs, passant de 18 à 50 arbres par hectare pour augmenter les quantités de noix à récolter.

Faciliter l’accès à des produits et services financiers pour aider les femmes à développer leurs activités économiques

 L’organisation des femmes en petits groupes de 25 à 30 personnes permettra de renforcer leur engagement dans le projet, faciliter le partage des connaissances sur les activités liées au karité mais aussi sur les activités agricoles. Ces groupes contribueront à promouvoir les services de microfinance qui donneront aux femmes accès à des microcrédits pour augmenter leurs ressources financières. Ce modèle permettra aux femmes de palier tout besoin financier urgent ainsi que de créer une dynamique sociale.

En savoir plus sur les partenaires privés et publics du projet.


[1] D’après une étude de la FAO et des données publiées par l’Alliance Globale du Karité.

[2] A savoir : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, l’Ethiopie, l’Erythrée, le Ghana, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Leone, le Soudan du Sud, le Soudan, le Togo, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Kenya et la Guinée.

[3] D’après une étude publiée par l’Alliance Globale du Karité en 2017.