UN APPEL À LA COP26 :
La prise de position de Livelihoods sur l’action climat

La croissance rapide des marchés carbone et l’explosion de la demande internationale pour la compensation créent des opportunités pour accélérer les changements dont notre planète a besoin d’urgence pour faire face aux enjeux liés au réchauffement climatique. Mais cette demande génère également un certain nombre de risques, notamment si la finance carbone devient une finalité et non un moyen de générer un impact positif sur les populations et le climat. Pour anticiper et atténuer le risque d’une bulle sur le marché carbone, la COP26 devra prendre des décisions claires pour mieux réglementer et favoriser des investissements de qualité, clarifier les règles pour les investisseurs et les gouvernements, améliorer la transparence du marché. Les Fonds Livelihoods partagent leur point de vue fondé sur plus de 10 ans d’expérience terrain.

La demande pour la compensation carbone monte en flèche

Le diagnostic est assez clair. La trajectoire pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C inscrite dans l’Accord de Paris nécessitera un effort de réduction massif (23GtCO2 en moins sur une base annuelle d’ici à 2030, soit une réduction de 57% des émissions par rapport à 2020) et un nombre croissant d’émissions négatives pour atteindre la neutralité carbone au niveau mondial d’ici à 2050. C’est uniquement à ce prix que le monde pourra se donner une chance d’un avenir désirable. Comme le précise l’accord de Paris, si réduire les émissions carbone est essentiel, cela ne suffit pas. Il nous faudra éliminer massivement les émissions. Une part équitable de cette démarche proviendra de la plantation d’arbres et de l’agriculture durable sous la forme de crédits carbone volontaires. Selon le TSVCM0F[1], la demande mondiale de compensation carbone volontaire pourrait être multipliée par 15 d’ici à 2030 et continuer à croître fortement par la suite.

Dans presque toutes les régions du monde, des États, des villes, des investisseurs, des entités privées et publiques font des déclarations audacieuses sur leurs ambitions de réduction et de compensation. D’après les données publiques, plus de 1 500 entreprises ont pris des engagements en matière de changement climatique ces dernières années, certaines d’entre elles visant à compenser la totalité de leur empreinte carbone dans les prochaines années. Plus de 100 pays sont devenus tout aussi ambitieux et se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 ou 2060. Certains secteurs, comme les compagnies aériennes, commencent aussi progressivement à s’engager dans la voie de la compensation. Voici l’ampleur de la demande mondiale.

La réduction des émissions au sein des chaînes de valeur est une priorité absolue, mais la compensation carbone peut contribuer à l’action climat

Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, un effort de taille doit être fourni par toutes les parties prenantes, des gouvernements au secteur privé mais aussi de la société civile. La priorité est d’accélérer et de réussir une transformation efficace, dans le cadre des responsabilités de chaque acteur. Les entreprises doivent se concentrer sur leurs propres chaînes de valeur. Il s’agit généralement d’un processus complexe qui ne peut être mis en œuvre immédiatement. La compensation carbone est une démarche utile et complémentaire pour compenser les émissions qui ne peuvent encore être réduites.

Les investissements seront nécessaires pour répondre à la demande du marché. Heureusement, grâce aux liquidités mondiales et à l’intérêt croissant pour les crédits carbone issus des Solutions dites « fondées sur la Nature1F[2]« , les engagements d’investissement des acteurs publics et privés sont en pleine croissance. Des milliers de milliards de dollars américains sont engagés pour contribuer à la transition climatique. Une grande partie de ces engagements sera orientée vers les démarches de réduction les plus nécessaires, mais plusieurs centaines de millions de dollars ont été annoncés ou confirmés pour soutenir des projets de compensation au cours des derniers mois.

Cependant, à l’heure actuelle, les marchés du carbone volontaires ne sont sans doute pas entièrement équipés pour faire face à 15 fois plus de compensations d’ici à 2030. Parmi les autres entités qui travaillent sur cette question, le TSVCM a émis des recommandations pour que le marché prenne de l’ampleur, en s’inspirant des dernières avancées sur les marchés financiers et des matières premières, par exemple en créant des principes communs pour définir et évaluer la qualité des crédits carbone, en développant des contrats avec des termes standardisés, en créant un consensus sur leur utilisation correcte, en construisant des infrastructures appropriées, etc.

Soyons prudents sur la qualité

La qualité des crédits carbone dépend de plusieurs critères, en particulier pour les Solutions fondées sur la Nature. Bien sûr, une tonne de CO2 séquestrée reste une tonne de CO2 séquestrée, quelle que soit la manière dont elle a été séquestrée. Mais lorsque nous traitons avec la nature, nous traitons avec des personnes, avec la production alimentaire, avec l’eau, avec la biodiversité, avec la résilience et avec toute une série de services écosystémiques qui profitent à l’humanité entière. Dans de nombreuses régions du monde, si ce n’est dans toutes, en particulier dans le Sud, la nature assure directement la subsistance de centaines de millions de personnes, sous réserve qu’elles en prennent soin. Il existe une relation directe, à double sens, entre l’homme et la nature.

Les solutions simples, qui cherchent avant tout à atteindre une échelle, ne fonctionnent pas nécessairement dans toutes les géographies et pourraient même être contre-productives pour adresser un ou plusieurs des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Dans de nombreux cas, nous devons accepter de faire face à la complexité d’une approche systémique et reconnaître qu’une approche standardisée peut ne pas fonctionner.

Quelques enseignements de Livelihoods sur plus de 10 ans d’expérience terrain

Livelihoods Venture est une entreprise sociale entièrement détenue par la Fondation Livelihoods, dont le but est d’être le gardien de sa mission telle que définie dans la Charte et les principes d’action de Livelihoods. Il y a dix ans, avec plusieurs entreprises européennes qui ont eu l’audace de s’engager et de partager les risques de financement dans des projets de compensation fondés sur la nature alors qu’aucune autre ne le faisait alors, Livelihoods Venture a créé le premier Fonds Carbone Livelihoods, puis s’en sont suivi d’autres. L’objectif de ces fonds à impact est le suivant : avec le soutien inestimable d’organisations locales engagées, accepter et gérer la complexité des approches systémiques pour essayer de faire prospérer à la fois les communautés et la nature.

Au fil des ans, les fonds Livelihoods se sont développés et de nouveaux partenaires ont rejoint le mouvement2F[3]. D’ici la fin de l’année 2021, Livelihoods aura levé près de 300 millions d’euros et investi dans plus de 25 projets à grande échelle. Le modèle Livelihoods repose sur des relations de long terme et de confiance. Les investisseurs, tous engagés principalement pour réduire leurs émissions, s’engagent volontairement sur 20 ans au sein de chaque fonds pour favoriser le changement pour les communautés rurales. Ils apportent plus qu’un simple financement. Ils apportent une vision, une stabilité, un engagement pour générer un impact positif et participent activement à toutes les décisions stratégiques des fonds. Les crédits carbone qu’ils reçoivent en retour ne sont pas revendus mais utilisés pour compenser une partie de leurs émissions résiduelles et inévitables.

La même approche à long terme et de confiance s’applique à la relation que Livelihoods établit avec les développeurs de projets, dont la grande majorité sont des ONG locales engagées envers leurs populations et leurs écosystèmes naturels. Cette relation est une histoire d’alignement sur les valeurs, les objectifs et les compétences complémentaires. Les développeurs de projets apportent leurs racines et leurs connaissances des enjeux locaux tandis que Livelihoods apporte un financement, un soutien durable et une expertise dans divers domaines allant de l’agronomie à la modélisation et à la mesure du carbone. Il s’agit d’un mélange d’expertise cimenté par une vision commune qui permettent aux équipes de structurer avec passion et d’investir dans des projets sur mesure pour réussir un changement local systémique (social, économique et environnemental). Les communautés locales partenaires bénéficient d’un accompagnement, de formation, de soutien et tout ce dont elles ont besoin pour faire décoller le projet, récolter tous les avantages des écosystèmes et de leurs terres agricoles restaurés, tandis que les projets fournissent aux investisseurs de Livelihoods des crédits carbone de haute qualité qu’ils retirent de leur empreinte carbone. Avec deux fonds d’investissement actuellement en activité et un troisième lancé en juin 2021, Livelihoods espère séquestrer et éviter l’émission de près de 45 millions de tonnes de CO2 ainsi qu’améliorer les conditions de vie de plus de 3 millions de personnes.

Une véritable opportunité à ne pas manquer pour les gouvernements

Un flux croissant d’investissements privés dans les solutions fondées sur la nature peut constituer une opportunité pour les gouvernements à un moment où viser un passage à échelle et avec impact sont évidents et où il est urgent de fixer les priorités du marché. Les politiques publiques pourraient être soutenues par la finance carbone si des règles d’intervention claires sont définies pour garantir les intérêts publics et privés.

Les gouvernements doivent être assurés que les investissements du secteur privé sont alignés sur les priorités et les objectifs du pays et qu’ils sont certifiés selon des méthodologies reconnues et des normes internationales telles que VERRA ou GOLD STANDARD. Les investisseurs privés ont besoin de visibilité et de sécurité concernant la propriété des crédits carbone générés par leur investissement et les réclamations que les acheteurs de crédits carbone sont autorisés à faire. Si les gouvernements veulent bénéficier des investissements du secteur privé dans leur pays, ils doivent définir un cadre juridique qui garantira les droits et les devoirs des investisseurs privés sur le long terme.

En particulier, le rôle du secteur privé au niveau national doit être clarifié pour créer des synergies et éviter les conflits d’intérêts potentiels.

Ne passons pas à côté de cette opportunité

La voie du développement durable est claire et abondamment documentée et surveillée par une variété d’acteurs, comme la Science-Based Target Initiative, pour n’en citer qu’un. D’un point de vue quantitatif, l’effort le plus important et le plus nécessaire consiste à réduire au maximum les émissions. En plus de cela, un effort massif doit également être réalisé dans le domaine des émissions négatives. Il existe ici une myriade de possibilités, depuis la capture et le stockage industriels du carbone jusqu’aux initiatives les plus avancées d’agroforesterie à but lucratif. Certaines de ces options, à savoir la conservation et la restauration des écosystèmes, l’agroforesterie, l’agriculture intelligente, ont la capacité non seulement de générer des émissions négatives mais aussi de faire prospérer la nature et les communautés aux quatre coins du monde.

À l’approche de la COP26 à Glasgow, nous appelons à la responsabilité de tous les États membres participants et de toutes les parties prenantes. Le monde a besoin d’un environnement propice pour que l’ensemble de ces solutions prospèrent. Nous avons besoin de garanties pour nous assurer que la compensation carbone ne se fait jamais au détriment de la nature ou des communautés, nous avons besoin de règles communes et d’un cadre qui clarifie les défis et les opportunités. Nous avons besoin que la COP26 finalise l’article 6 de l’Accord de Paris et définisse les résultats d’atténuation transférés au niveau international (ITMO) de manière à accélérer les investissements, en particulier vers les pays qui ont le plus besoin de soutien et de financement. Les marchés du carbone volontaires peuvent permettre chaque année l’investissement en centaines de millions d’euros, voire des milliards, pour la protection et le développement de l’environnement et de centaines de millions de membres des communautés rurales du Sud. Nous ne manquerons pas cette opportunité.

En savoir plus sur les Fonds Livelihoods.

Des villageois transportent des foyers améliorés (projet Energie Rurale de Livelihoods au Kénya)

[1] Groupe de travail sur le développement des marchés volontaires du carbone :

   Taskforce on scaling voluntary carbon markets

[2] Les Solutions fondées sur la Nature sont définies par l’IUCN comme les actions qui s’appuient sur les écosystèmes afin de relever les défis globaux comme la lutte contre les changements climatiques, la gestion des risques naturels, la santé, l’accès à l’eau, la sécurité alimentaire…

[3] A ce jour, les Fonds Livelihoods sont soutenus par Danone, Mars Incorporated, SAP, Groupe Caisse des Dépôts, La Poste, Crédit Agricole SA, Crédit Agricole Midi-Pyrénées, Hermès, Firmenich, Schneider Electric, Michelin, Veolia, Voyageurs du Monde, Eurofins, Orange, Chanel, Groupe Bel, DEG, Mc Cain, Groupe L’Occitane Group, Mauritius Commercial Bank et le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM).