NOTRE POINT DE VUE SUR L’INDUSTRIE DE L’HUILE DE PALME :
enjeux et perspectives

L’huile de palme est presque partout. De l’alimentation aux cosmétiques, en passant par les produits de nettoyage et même le biocarburant, l’huile de palme est appréciée pour sa polyvalence. Et son marché est en plein essor : au cours des 50 dernières années, la production mondiale a été multipliée par plus de 35 [1]. L’huile de palme est également une importante source de revenus pour des millions de petits exploitants agricoles, notamment en Indonésie et en Malaisie, qui fournissent à eux seuls 84% de l’offre mondiale. Aujourd’hui, près de la moitié de la population mondiale dépend de l’huile de palme dans son régime alimentaire, notamment en Afrique et en Asie.

Mais l’huile de palme est également connue pour être très controversée. Ne poussant que sous les tropiques, dans des zones riches en biodiversité, les modèles de production intensive ont été l’un des principaux facteurs de déforestation et de perte de biodiversité depuis les années 1980. Il est donc urgent de transformer en profondeur l’industrie de l’huile de palme pour produire de manière plus durable dans un contexte de croissance rapide.

A quoi tient le succès de l’huile de palme ? Quels sont réellement ses impacts sur la déforestation ? Quelles solutions s’offrent à l’industrie pour inverser la tendance ? Regardons cela de plus près.

Un marché en plein essor pour répondre à une forte demande mondiale en huiles végétales
Extracted from the red pulp of the fruit, palm oil is prized for its high versatility.

La production mondiale en huile de palme a augmenté rapidement ces 50 dernières années. En 1970, le monde produisait 2 millions de tonnes, contre 71 millions de tonnes en 2018. Et la demande devrait continuer d’augmenter de 1,7% par an d’ici à 2050 [1].  L’engouement pour l’huile de palme n’est pas un cas isolé mais plutôt un phénomène global inhérent au marché des huiles végétales. La production de soja, de colza ou de tournesol a similairement augmenté de manière continue.

Mais l’huile de palme se distingue par l’écart entre son fort taux de productivité et ses faibles coûts de production. A la différence d’autres huiles végétales, c’est une culture aux rendements élevés. Les palmiers produisent des fruits deux fois par mois, tout au long de l’année. L’huile de palme totalise 36 % de la production mondiale en huile végétale (en 2018) pour une occupation de 6% des terres consacrées à cette culture. Elle s’est donc logiquement imposée à l’industrie pour répondre à la demande grandissante.

Une huile végétale particulièrement polyvalente

L’huile de palme est utilisée dans une large gamme de produits à travers le monde. Plus de 68% de l’huile de palme est utilisée dans les aliments achetés au supermarché : de la margarine au chocolat, des pâtes à tartiner aux pizzas, biscuits, huiles de cuisson… la liste est longue. 27% est également utilisée dans des applications industrielles et des produits de nettoyage (savons, détergents, agents de nettoyage), mais aussi dans les cosmétiques. Dans certaines régions du monde, l’huile de palme est utilisée dans la bioénergie : 5% de la production mondiale est utilisée comme biocarburant pour le transport, l’électricité ou le chauffage.

Vous l’avez deviné : ce qui fait le succès de l’huile de palme par rapport à d’autres cultures, c’est sa polyvalence. Elle possède naturellement des propriétés et des fonctions extrêmement variées, ce qui la rend très largement utilisée. À température ambiante, l’huile de palme est semi-solide (parfaite pour les pâtes à tartiner donc), elle résiste à l’oxydation et peut donc prolonger la durée de vie des produits, elle est stable à haute température et peut donc contribuer à donner aux produits frits une texture croustillante et croquante. L’huile de palme est également inodore et incolore, elle n’altère donc pas l’aspect ni l’odeur des aliments.

L’Indonésie représente 57% de la production mondiale en huile de palme
Palm fruit L3F Indonesia Livelihoods

L’huile de palme est une plante tropicale originaire de l’Afrique centrale et importée en Asie du Sud Est il y a environ un siècle. Le marché mondial est dominé par deux pays producteurs : l’Indonésie et la Malaisie qui cumulent 84% de la production. En 2018, l’Indonésie totalisait 57% de la production mondiale (41 millions de tonnes), loin devant la Malaisie dont la part s’élevait à 27% (20 millions de tonnes).

L’Union européenne est le troisième importateur d’huile de palme après l’Inde (9,2 millions de tonnes) et la Chine (5,3 millions de tonnes). Elle est suivie par les États-Unis qui ont importé 1,4 million de tonnes en 2017.

Des découvertes sur les sites archéologiques d’Egypte ont mis en lumière l’utilisation millénaire de l’huile de palme : son usage médicinal et alimentaire remonte à plus de 5000 ans. Les palmiers à huile sont probablement originaires des forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest, où ils étaient exploités avant d’être introduits en Égypte par des commerçants arabes et au Brésil par des colons portugais au XVe siècle.

Quel est l’impact de l’huile de palme sur l’environnement ?

La montée en flèche de la production mondiale a entrainé une augmentation brutale de la superficie totale dédiée à la culture de palmiers. Ce facteur a entraîné une forte déforestation en quelques décennies. Les palmiers poussent dans des zones tropicales denses et riches en biodiversité. Ce mode de production intensif a donc détruit l’habitat d’espèces menacées comme l’orang-outan, l’éléphant pygmée ou le rhinocéros de Sumatra.  

Depuis 1980, la quantité de terres utilisées au niveau mondial a plus que quadruplé, passant de 4 millions à 19 millions d’hectares en 2018. Cela semble considérable mais notons qu’à l’échelle mondiale, plus de 300 millions d’hectares sont consacrés à la production d’huiles végétales. Seulement 6% de cette superficie revient à la culture du palmier à huile, ce qui est peu si l’on considère qu’il produit 36% des huiles végétales. L’Indonésie a quant à elle dû faire face à un pic en 2008-2009 avec presque 40% de déforestation. Depuis, ce taux s’est stabilisé à moins de 15%.

Remplacer l’huile de palme par des alternatives pourrait-il stopper la déforestation ?

Pour rappel, l’huile de palme est connue pour être une culture très rentable. Pour obtenir la même quantité d’huile à partir d’autres cultures, comme le soja ou la noix de coco, il faudrait entre 4 et 10 fois plus de terres. On peut se demander si cela n’aurait pas un impact encore plus important sur la déforestation, car il faudrait davantage de terres pour produire une quantité équivalente d’huile pour répondre à la demande du marché. En attendant, il semble que l’alternative soit d’aider l’industrie à mener la transition vers un approvisionnement durable, tout en embarquant ceux dont les moyens de subsistance dépendent fortement de l’huile de palme : les petits exploitants.

Vers une huile de palme responsable : succès et limites de la RSPO
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Parmi les initiatives mises en place pour favoriser cette transition, la Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO – Roundtable on Sustainable Palm Oil en anglais) [3] est une initiative internationale pour la certification et la production d’une huile de palme plus durable.

Créée en 2004, la RSPO définit les meilleures pratiques de production et d’approvisionnement en huile de palme. Les certifications délivrées par la RSPO se font au niveau de la parcelle : elles attestent que l’huile de palme a été produite selon des normes durables, dans des zones réglementées. Parallèlement, d’autres initiatives ont vu le jour du côté des marques, qui mettent en place des programmes de chaîne d’approvisionnement durables et transparents.

Mais ce mouvement RSPO bien intentionné est aujourd’hui confronté à une limite importante. Le processus de certification étant assez coûteux et complexe, la plupart des plantations qui parviennent à obtenir la certification sont de grandes plantations et non de petits exploitants.

Pourquoi les petits exploitants sont-ils à l’écart de la transition ?

Les petits exploitants représentent une grande part de la production mondiale d’huile de palme. En Indonésie, ils gèrent plus de 40% des plantations et les petits exploitants indépendants possèdent plus de 3,1 millions d’hectares de parcelles. L’installation de petits producteurs d’huile de palme sur des parcelles de palmiers a souvent été encouragée par les pouvoirs publics dans le passé. Très souvent, cela a contribué à les sortir de la pauvreté.

Les impacts économiques et sociaux considérables de la production d’huile de palme expliquent en grande partie la difficulté des gouvernements des pays émergents à mettre en place des politiques environnementales fortes. Mais la prise de conscience de la perte de biodiversité est un mouvement de fond qui oblige les gouvernements à aligner les déclarations sur des actions concrètes.

Une autre catégorie de petits exploitants, connus dans le secteur sous le nom de « petits exploitants plasma » (plasma smallholders en anglais), travaillent dans un cadre différent : ils ont un accord d’approvisionnement exclusif avec une usine, bénéficient d’un appui technique et peuvent accéder à des intrants agricoles tels que des stocks de semences et des engrais grâce à ce partenariat. Ils sont plus susceptibles d’obtenir la certification RSPO que les fermiers indépendants.

De plus, les chercheurs prévoient que ces exploitants indépendants vont doubler leur capacité de production pour atteindre une part de 60% de la superficie totale des plantations de palmiers à huile en Indonésie d’ici à 2030. L’huile de palme restant leur principale source de revenus, il est urgent d’aider les petits exploitants à réduire leurs impacts environnementaux négatifs, mais aussi à augmenter leurs rendements et à accéder à des moyens de subsistance plus diversifiés. Cela nécessite un effort de transformation de l’ensemble de la filière avec un accompagnement du gouvernement, des institutions mais aussi du secteur privé qui doit s’approvisionner de manière plus durable.

C’est exactement les défis que le projet Livelihoods tend à relever.