Réconcilier le palmier à huile avec la terre, l’agriculteur, le consommateur
LIVELIHOODS LANCE UN PROJET D’HUILE DE PALME INÉDIT EN INDONÉSIE POUR CONSTRUIRE UNE CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT DURABLE AVEC 2 500 PETITS EXPLOITANTS
Dans un contexte où l’huile de palme est à la fois massivement utilisée par les industries mondiales et tout aussi controversée, existe-t-il une voie possible pour construire une chaîne d’approvisionnement plus durable et inclusive ? Peut-on réduire la déforestation tout en améliorant les moyens de subsistance des petits exploitants ? Comment conduire avec eux la transition vers un approvisionnement durable ?
Pendant des décennies, des millions de petits exploitants agricoles dans les pays émergents ont misé sur l’huile de palme pour gagner leur vie. Aujourd’hui, ils font face à de multiples défis tels que la concurrence avec les grandes plantations, la baisse de la productivité, le manque de moyens financiers pour remplacer leurs arbres vieillissants. Ils sont à ce jour encore largement laissés de côté dans la nécessaire transition de l’industrie.
Fidèle à son approche d’apprentissage par la pratique, le Fonds Livelihoods pour l’Agriculture Familiale (L3F) lance un projet inédit pour aider 2 500 petits exploitants à réussir cette transition sur l’île de Sumatra, en Indonésie. Le projet vise à construire une chaîne d’approvisionnement transparente, sans déforestation grâce à des modèles d’agroforesterie adaptés aux conditions locales, à l’adoption de l’agriculture régénératrice et à la préservation de la biodiversité. En partenariat avec Mars Incorporated et Danone (deux grandes marques alimentaires, partenaires et investisseurs historiques dans L3F), L’Oréal (grande marque de produits de beauté et de cosmétiques) et mis en œuvre localement par Musim Mas (principal fournisseur indonésien d’huile de palme) et SNV (chargé de la mise en œuvre du projet en étroite collaboration avec les fermiers), le projet contribuera à régénérer 8 000 hectares dans des zones d’exploitation dégradées, ainsi qu’à restaurer 3 500 hectares supplémentaires de biodiversité locale.
L’huile de palme à Sumatra : une source de revenus centrale depuis plus de 30 ans
L’huile de palme est une huile végétale comestible qui provient du fruit des palmiers. Comme ils ont naturellement besoin de fortes précipitations, de soleil et de conditions humides pour pousser, les palmiers sont surtout présents dans les tropiques, en Afrique occidentale et centrale, en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, l’Indonésie et la Malaisie fournissent à elles seules plus de 84% de la production mondiale.
L’île de Sumatra est un territoire familier pour Livelihoods. Nos deux projets de restauration de mangroves mis en œuvre avec l’ONG locale Yagasu, contribuent à restaurer un écosystème fragile le long des côtes d’Aceh et du Nord de Sumatra, tout en stimulant les opportunités économiques pour les communautés rurales.
Cette fois, Livelihoods lance un projet d’approvisionnement en huile de palme dans la province du nord de Sumatra pour assurer une transition durable avec 2 500 petits exploitants agricoles indépendants. Le projet se déroulera dans la zone d’approvisionnement de Musim Mas, dans des districts situés jusqu’à 50 kilomètres de son moulin « PT. Siringo Ringo ». Avec une histoire ancrée en Indonésie, Musim Mas est un leader industriel opérant dans la chaîne de valeur de l’huile de palme, des plantations aux moulins et aux raffineries. Musim Mas est un fournisseur clé de Mars, Danone et L’Oréal, qui travaille étroitement avec des négociants et transformateurs internationaux – des fournisseurs de niveau 1 – qui fournissent à ces marques les composants dont elles ont besoin. Musim Mas travaille en étroite collaboration avec les petits exploitants agricoles qui représentent 40 % de son approvisionnement.
Quand l’huile de palme ne suffit plus pour subvenir aux besoins du foyer
La plupart des petits producteurs indépendants dépendent largement de l’huile de palme qu’ils produisent en monoculture. 80% d’entre eux possèdent de petites parcelles (1 à 2 hectares), tandis que 20% possèdent des parcelles de taille moyenne (2 à 4 hectares). Mais les revenus qu’ils en tirent ne sont pas toujours suffisants pour subvenir aux besoins de leur famille. Les propriétaires des plus petites parcelles doivent par ailleurs souvent travailler dans des fermes voisines.
Pour réduire les coûts de production, les agriculteurs mobilisent les membres du foyer. L’huile de palme est une activité principalement menée par les hommes, mais les femmes jouent elles aussi un rôle complémentaire. Elles s’occupent du ramassage des fruits tombés, du désherbage ou encore de l’application d’engrais. Mais avec une moyenne de 6 heures par jour consacrées à l’agriculture, qui s’ajoutent à une dizaine d’heures dédiées aux tâches ménagères, elles n’ont pas le temps de s’engager dans des activités économiques complémentaires.
De la ferme au moulin, la quantité l’emporte souvent sur la qualité
Les fermiers récoltent les grappes de fruits de leurs palmiers toutes les deux semaines, tout au long de l’année, pour atteindre en moyenne une production d’une tonne par hectare et par mois. Rares sont les organisations de petits exploitants dans la région. Ces derniers s’en remettent donc entièrement aux agents locaux de leurs villages, pour vendre leur production. Ils sont payés immédiatement (ou le jour même) en espèces. Les grappes doivent être transportées à l’usine dans les 24 heures qui suivent la récolte.
Les agents transportent et vendent les grappes de fruits aux moulins (le moulin de Musim Mas appelé « PT Siringoringo »et d’autres) qui les traiteront ensuite pour produire de l’huile de palme brute (l’huile comestible extraite de la pulpe rouge du fruit et utilisée ensuite dans l’industrie alimentaire) mais aussi de l’huile de palmiste (extraite de l’amande blanche, destinée principalement à l’industrie cosmétique). Les agents opèrent de manière indépendante et déterminent le prix de vente. Mais ce prix est fixe : il ne varie pas selon la bonne ou mauvaise qualité de la récolte. Les petits exploitants ne sont pas directement en relation avec les moulins.
Tous les fermiers de la région s’organisent en groupements mais ces derniers fournissent un soutien limité. Principalement créés pour mutualiser les demandes d’engrais subventionnés par le gouvernement, ces groupes ont une capacité d’organisation, de gestion ainsi qu’un pouvoir de négociation limités. N’étant pas perçus comme « rentables », ils manquent également de fonds pour aider leurs membres à acheter les intrants nécessaires.
Une baisse de la productivité qui menace les agriculteurs et les forêts
Les petits exploitants représentent 40% de la superficie totale des palmiers à huile et, selon les estimations, 35% de la production totale d’huile de palme brute dans le pays. Pourtant, ils sont encore assez exclus de la transition durable.
Leur premier défi ? Des arbres vieillissants plantés dans les années 80 et 90 qui produisent désormais moins, des rendements qui diminuent, et donc des revenus plus faibles. L’huile de palme contribue à 60% de leurs revenus : ils gagnent actuellement juste assez pour couvrir les besoins essentiels du foyer. Une étude terrain récente a démontré que le vieillissement des arbres pourrait réduire leur productivité de 40% dans les dix prochaines années si aucune activité de replantation n’est entreprise. Cela pourrait conduire les agriculteurs à convertir de nouvelles parcelles, ce qui menace les forêts environnantes.
Trente années de monoculture ont également entraîné une dégradation des terres et une réduction de la fertilité des sols (pas de diversification des nutriments et des micro-organismes dans le sol entraîne une perte de la santé du sol), ce qui affaiblit à son tour la productivité et la qualité des fruits. N’ayant d’autres sources de revenus avec une demande similaire, ils sont confrontés aux risques de volatilité des prix sur un marché très concurrentiel.
Les études terrain ont révélé qu’il existe une grande possibilité d’augmenter la productivité des palmiers et les bénéfices liés à la restauration des écosystèmes, réduisant ainsi les menaces sur les forêts environnantes, en replantant des variétés de palmiers à huile et en adoptant des pratiques agricoles durables.
Livelihoods mise sur l’agroforesterie et l’agriculture régénératrice
Le projet repose sur une approche innovante à 360° pour aider les agriculteurs à régénérer leurs plantations, à restaurer, et protéger les forêts environnantes. Mais aussi à passer à un modèle économique qui les aidera à gagner plus de leurs plantations actuelles, et acquérir de nouvelles sources de revenus.
Pour y parvenir, Livelihoods et ses partenaires s’appuieront sur les dynamiques locales en cours. Musim Mas est engagé depuis 2015 dans un programme d’accompagnement des petits producteurs indépendants. À ce jour, plus de 43 000 agriculteurs ont été formés à des pratiques agricoles durables et plus de 750 ont obtenu la certification RSPO [1]. Le projet vise à atteindre une plus grande échelle, en accompagnant 2 500 petits exploitants pendant 10 ans.
Augmenter la productivité grâce à l’agriculture régénératrice :
Au niveau de la parcelle, le projet aidera les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles régénératrices pour restaurer la santé du sol, augmenter la fertilité, et assurer des rendements de qualité. Ces pratiques comprennent l’introduction de la fertilisation organique par le compostage, la couverture des sols (introduction de plantes qui fixent d’azote pour restaurer la santé et l’équilibre du sol) et le paillage. Mais aussi des pratiques intégrant des pièges à phéromones pour lutter contre les insectes ravageurs. Par exemple, installer des nids de chouettes sur les parcelles de l’exploitation permettra de protéger les fruits.
Les agriculteurs suivront des sessions de formation pour acquérir les compétences techniques nécessaires. En partenariat avec les groupes d’agriculteurs existants et les administrations villageoises, ainsi que notre partenaire local SNV, des parcelles de démonstration seront aménagées pour faciliter l’adoption de pratiques et former des agriculteurs qui, à leur tour, soutiendront leurs pairs. Chaque agriculteur sera aussi équipé d’un kit de démarrage qui comprendra des semences de plantes (pour la couverture du sol), des pièges à phéromones pour les ravageurs, des nids pour les prédateurs et des unités de reproduction pour les pollinisateurs (charançon castor). Cet équipement les aidera à réduire l’utilisation de pesticides tout en renforçant naturellement la fertilité des sols.
La santé des sols est un élément central à l’approche d’une agriculture régénératrice. L’une des solutions innovantes du projet consistera à mettre en place des unités de compostage naturel, situées à la fois au niveau des exploitations agricoles et des groupements d’agriculteurs. Le compost sera constitué du fumier et des déchets issus de la biomasse des parcelles (principalement les restes solides de grappes de fruits et les effluents liquides des moulins) pour faciliter l’accès des agriculteurs aux engrais naturels.
Financer la replantation des arbres vieillissants :
Dans la zone du projet, il a été estimé que 50% des arbres deviendront séniles d’ici 10 ans. La replantation de nouvelles parcelles de palmiers est une préoccupation majeure pour booster la productivité. En particulier pour les agriculteurs qui possèdent 1 à 2 hectares de terre et qui n’ont pas les moyens de financer une replantation. Pour les aider, le projet mettra en place un mécanisme de financement. Ce dispositif sera créé avec l’aide des institutions et banques locales sous forme de facilités de prêt et d’évaluations des risques liés au crédit. Il s’appuiera sur une initiative réussie de Musim Mas, qui a mis en œuvre un projet pilote avec 52 agriculteurs sur 2 ans.
Diversifier les cultures pour créer de nouvelles sources de revenus :
Avec une densité de seulement 144 palmiers par hectare, les parcelles de palmiers laissent la majeure partie du sol à découvert pendant la période de croissance des nouveaux arbres : 3 à 4 ans. La culture intercalaire avec des cultures vivrières et de rente en continu ou semi-permanentes est une excellente opportunité pour les petits exploitants de générer de nouveaux revenus. Les cultures identifiées sont celles pour lesquelles il existe une forte demande sur le marché local : des légumes et des fruits comme la pastèque, l’échalote, la tomate ou le piment, par exemple. La plupart peut parfaitement être cultivé sans concurrencer les besoins en eau, luminosité et chaleur des palmiers.
En couvrant le sol après la récolte, ces légumes aideront à contrôler l’érosion, à maintenir l’humidité et à maintenir les nutriments dans le sol. Pour aller plus loin dans l’agriculture régénératrice, des alternatives de cultures intercalaires à long terme seront également testées avec des agriculteurs motivés : ils pourront intégrer à la fois d’arbres pérennes (fruits, noix et bois) et des animaux (volailles, chèvres, bovins) sur leur ferme.
Comment construire un modèle économique et social qui valorise les petits exploitants ?
Le projet Livelihoods place les petits exploitants au cœur d’un modèle économique qui les aidera à augmenter leur productivité, à restaurer la fertilité des sols, à vendre des fruits de meilleure qualité. Mais l’approche est aussi très sociale. Le projet s’appuiera sur les groupes d’agriculteurs existants pour faciliter la diffusion des bonnes pratiques et stimuler le soutien mutuel. Par exemple, le projet permettra de promouvoir des facilités d’investissement dans les semences au niveau des villages, qui aideront les agriculteurs à diversifier leur source de revenus dans leur exploitation, en fonction de leurs besoins et de leurs souhaits. Ces facilités encourageront par exemple la création de potagers, l’élevage de volailles et de chèvres pour soutenir les revenus des agriculteurs. Elles cibleront particulièrement les femmes et les jeunes.
Le projet facilitera la création de coopératives, pour renforcer les organisations d’agriculteurs. Cela les aidera à avoir un réel positionnement dans la chaîne de valeur et accéder plus directement au moulin de Musim Mas.
Restaurer 3 500 hectares de forêts
Au total, le projet permettra de restaurer 8 000 hectares de palmeraies. Pour aller plus loin, le projet va promouvoir des modèles agroforestiers dans les zones forestières environnantes, dans lesquelles la culture du palmier n’est pas autorisée. Ces modèles, basés sur l’agroforesterie sans palmier, seront conçus d’abord pour s’adapter aux zones riveraines avec les activités de replantation adéquates et ensuite, aux zones très dégradées dans les forêts.
L’intervention dans ces zones sensibles servira de tampon entre les zones de production de palmiers et les forêts. Cela implique de travailler avec les groupes d’agriculteurs forestiers existants et le gouvernement pour restaurer et préserver les terres forestières en commençant par 500 hectares. L’objectif à long terme du projet est de passer à l’échelle pour atteindre 3 500 hectares de zone forestière protégée, riche en biodiversité (cela fera l’objet d’un partenariat spécifique de partenaires publics l’obtention une subvention).
- [1] Plus d’informations sur la Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO).