10 ans après son lancement, Le Fonds Carbone Livelihoods mesure les impacts sociaux et environnementaux de son plus grand projet de restauration de mangroves au Sénégal. Ces résultats sont à la fois surprenants et impressionnants.
En 2009, plus de 100 000 villageois sénégalais s’engageaient dans un vaste projet : reconstituer les mangroves qui fournissent poissons et beaucoup d’autres ressources vivrières et qui avaient été largement détruites au fil des ans. En 3 ans, ils réussissent à planter 80 millions de palétuviers entre les estuaires des fleuves Casamance et Siné Saloum. Cette initiative, impulsée par l’ONG sénégalaise Océanium, figure comme le plus grand programme de restauration de mangroves au monde. Ce projet allait poser les fondations du Fonds Carbone Livelihoods, avec l’objectif de réunir entreprises privées, ONG, communautés locales, secteur public et société civile au sein de grands programmes pour combattre simultanément la dégradation environnementale, la pauvreté et le changement climatique.
Le projet Livelihoods-Sénégal a en effet été financé grâce à la finance carbone : les 10 entreprises privées* réunies au sein du Fonds Carbone Livelihoods ont investi ensemble dans ce programme de reforestation avec le double objectif de compenser une partie de leurs émissions de CO2 – les mangroves ont une forte capacité de stockage de carbone dans les arbres et dans le sol – ainsi que de contribuer à améliorer durablement la vie des populations locales. Verra, un des principaux organismes internationaux de certification carbone a ainsi confirmé que ce projet a déjà permis de séquestrer plus de 160 000 tonnes de CO2, sur les 600 000 tonnes prévues pendant les 20 années de sa durée de vie.
Mais, 10 ans après, qu’en est-il des villageois qui ont participé à ces replantations ? Ont-ils vu une amélioration de leurs conditions de vie avec plus de sécurité alimentaire grâce un renouvellement du stock de poisson, de crevettes et d’huîtres ? Ont-ils pu replanter du riz sur leurs terres autrefois dégradées par l’eau salée suite à la déforestation ? Que conservent-ils de cette aventure hors norme ? Pour répondre à ces questions, le Fonds Carbone Livelihoods, en partenariat avec Ramsar[1], l’IUCN[2] et le FFEM[3], a missionné La Tour du Valat, un institut indépendant de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, et Océanium, l’ONG sénégalaise qui a mis en œuvre le projet, pour conduire une étude dans les villages qui ont participé à cette initiative afin d’évaluer son impact social. Les principaux résultats de cette étude, menée en 2018, sont présentés ci-dessous.
Le projet Livelihoods-Sénégal en images
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Une méthodologie centrée sur les gens
L’étude des impacts sociaux du projet Livelihoods-Sénégal a été menée pendant 4 mois dans une cinquantaine de villages ayant participé à cette initiative. Plus de 850 interviews communautaires et individuelles ont été menées afin d’établir un échantillon représentatif d’un ensemble que l’institut La Tour du Valat estime à plus de 50 000 ménages et 550 000 personnes.
La méthodologie choisie, « l’approche des moyens d’existence durables » développée par l’agence de développement international britannique (DFID), est basée à la fois sur la perception des populations et sur une observation des changements. Elle a été conçue pour mesurer les impacts sociaux d’un projet sur les moyens d’existence. Le terme ‘moyens d’existence’ englobe les capacités, les avoirs (ressources matérielles et sociales incluses) et les activités requis pour subsister. Les moyens d’existence sont considérés comme durables lorsque les populations locales peuvent faire face à des chocs tout en maintenant ou en améliorant, leurs capacités et leurs avoirs, sans amoindrir leurs ressources naturelles[4].
Pour conduire les interviews, Laurent Chazée, chef de projet international à la Tour du Valat, a formé pendant une semaine 18 auditeurs sénégalais à Ziguinchor, une ville de Casamance. Répartis en binômes, les auditeurs sont ensuite partis en immersion pendant plusieurs jours dans différents villages, pour la plupart accessibles en pirogue car loin des réseaux routiers, pour réaliser les interviews communautaires et individuelles.
En analysant les témoignages des villageois, la méthodologie permet de catégoriser les effets du projet, de comprendre quels facteurs tangibles – liés au projet ou pas – sont en œuvre. Afin de vérifier la pertinence des impacts identifiés par les communautés, les témoignages sont croisés avec des observations objectives des changements qui se sont opérés dans les villages (par exemple l’équipement en fours à gaz, en capteurs solaires ou en téléphone portable, l’accès à l’eau ou l’assainissement).
Des résultats surprenants & impressionnants
L’étude menée par La Tour du Valat a révélé un résultat important : le projet Livelihoods-Sénégal est encore très présent dans les esprits et il est l’une des actions collectives dont les villageois sont encore à ce jour le plus fiers. Plus de 85% des villageois considèrent que les palétuviers plantés ont une bonne croissance. Lors des échanges, de nombreux habitants ont indiqué qu’ils avaient participé à ce projet pour offrir un meilleur environnement à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Certains pensent même que sans la reforestation, ils auraient quitté la terre de leurs ancêtres. Ils établissent en effet un lien direct entre la restauration des palétuviers et des améliorations dans leurs conditions de vie. Ainsi, 95% des villageois estiment que les palétuviers ont eu au moins un impact positif sur leur vie.
L’amélioration de la biodiversité et l’accroissement du nombre de poissons et d’huîtres sont les bénéfices qui arrivent en tête du classement des villageois. Cette augmentation est directement liée à la restauration de l’écosystème des mangroves qui favorise la reproduction, l’alimentation et la protection des poissons et des crevettes. Les racines des palétuviers permettent quant à elles l’accroche des huîtres qui trouvent de ce fait d’excellentes conditions pour leur développement.
Le projet Livelihoods-Sénégal est l’une des actions collectives dont les villageois sont encore à ce jour le plus fiers
Principaux avantages et bénéfices de la restauration de mangrove perçus par les communautés villageoises
Les enquêteurs ont demandé aux communautés villageoises quels bénéfices ou avantages issus de la restauration des mangroves ils considéraient comme les plus importants. Dans le graphique suivant, les pourcentages correspondent à la proportion de communautés villageoises qui ont cité chaque bénéfice ou avantage comme étant le plus important.
Principaux avantages et bénéfices de la restauration de mangrove perçus par les femmes
Les enquêteurs ont demandé aux femmes quels bénéfices ou avantages spécifiques issus de la restauration des mangroves ils considéraient comme les plus importants. Dans le graphique suivant, les pourcentages correspondent à la proportion de femmes qui ont cité chaque bénéfice ou avantage comme étant le plus important.
Dans 60% des villages, les pêcheurs ont maintenant des prises plus conséquentes, ce qui leur permet de les écouler dans les villages environnants jusqu’au Cap Skiring. Cette hausse des ressources halieutiques bénéficie aussi à des familles pluriactives se traduisant par une meilleure sécurité alimentaire et une hausse de revenus. Les femmes peuvent à nouveau pêcher du poisson et collecter des huîtres pour leur propre consommation ou pour la vente dans les villages ou au bord des routes. De plus, une plus grande disponibilité du poisson en toute saison a conduit à une baisse du prix sur les étals, ce qui le rend plus accessible aux familles les plus vulnérables. L’institut La Tour du Valat estime que la restauration des mangroves a conduit à une augmentation des ressources halieutiques de plus de 4 200 tonnes par an.
Plus de 4 200 tonnes de poissons, crevettes et huîtres supplémentaires tous les ans grâce aux palétuviers
L’étude a aussi permis de mettre en évidence un bénéfice connexe du projet Livelihoods-Sénégal sur la restauration des rizières. Les palétuviers plantés jouent désormais leur rôle de barrière protectrice contre l’eau salée. Petit à petit, les rizières situées le long des côtes se vident de tout le sel qui les asphyxiaient. Les agriculteurs moissonnent de nouveau sur des parcelles qu’ils avaient été contraints d’abandonner à cause de la salinisation. Plus loin dans les terres, d’autres paysans voient leurs rendements augmenter au fur et à mesure que la terre reprend ses droits sur la mer. L’étude a permis d’estimer que 15% des rizières précédemment abandonnées ont pu être restaurées et que les rizières plus éloignées des côtes ont pu augmenter leurs rendements de 10% et plus. Même si la restauration complète des rizières constitue à elle-seule un projet d’envergure en complément de la restauration des palétuviers, les habitants estiment que la croissance des palétuviers va continuer à améliorer les conditions de culture du riz.
Le projet a permis aux villageois d’être eux-mêmes les acteurs de la préservation de leurs ressources naturelles
En plus de l’impact directe de la restauration des palétuviers sur la sécurité alimentaire, les revenus des villageois ainsi que sur le changement climatique, l’étude menée par La Tour du Valat a mis en évidence d’autres impacts qui vont du renforcement de la cohésion des communautés à la disponibilité de bois d’œuvre ou de chauffe, en passant par la beauté du paysage. Ce qui se dégage des enquêtes est la forte appropriation de ce projet par les villageois. Pour 93% des villages interrogés, la technique de reboisement proposée par l’ONG Océanium, simple et reproductible par tous, est le premier enseignement qu’ils conservent du projet. 25% des 450 villages mobilisées dans le projet Livelihoods-Sénégal ont continué des campagnes de restauration de palétuviers de leur propre chef. Et plus de 70% des villages ont mis en place une surveillance de leurs mangroves avec des rondes pour préserver leurs forêts de coupes illégales. L’étude d’impact menée par Tour du Valat a ainsi confirmé un facteur-clef de succès de ce projet : il a permis aux villageois d’être eux-mêmes les acteurs de la préservation et de l’utilisation durable de leurs ressources naturelles.
Quand l’engagement à long-terme des entreprises et la finance carbone créent un cercle vertueux
Sans la mobilisation des villageois de Casamance et du Siné Saloum et sans l’incroyable ingénierie sociale d’Océanium, les 80 millions de palétuviers du projet ne se dresseraient pas aujourd’hui tel un rempart contre le changement climatique et en même temps comme un écosystème nourricier pour les habitants. La finance carbone a permis d’apporter à des communautés vulnérables les moyens de restaurer leur mangrove, grâce au soutien d’entreprises privées qui se sont engagées à investir dans des projets durables. En retour de leur investissement dans le projet Livelihoods-Sénégal, les entreprises du Fonds Carbone Livelihoods reçoivent des crédits carbone à haute valeur sociale et environnementale pour compenser leurs émissions de CO2. Les investisseurs du Fonds Carbone Livelihoods ont fourni à Océanium le financement nécessaire aux replantations (sensibilisation des populations, validation des modèles scientifiques, logistique d’intervention…) et continuent de financer son suivi et son évaluation jusqu’en 2029, soit sur une durée totale de 20 ans.
*Crédit Agricole, Danone, Firmenich, Groupe Caisse des Dépôts, Hermès, La Poste, Michelin, SAP, Schneider Electric, Voyageurs du Monde.
[1] La Convention de Ramsar a pour mission « La conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides par des actions locales, régionales et nationales et par la coopération internationale, en tant que contribution à la réalisation du développement durable dans le monde entier ».
[2] L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est composée de gouvernements et d’organisations de la société civile. Elle offre aux organisations publiques, privées et non-gouvernementales les connaissances et les outils nécessaires pour que le progrès humain, le développement économique et la conservation de la nature se réalisent en harmonie.
[3] Le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) a été créé en 1994 par le gouvernement français à la suite du premier Sommet de la Terre, pour mettre en œuvredes projets de développement durable qui intègrent préservation des biens publics mondiaux, solidarité internationale et innovation dans les pays en développement et émergents.
[4] http://www.livelihoodscentre.org/-/sustainable-livelihoods-guidance-sheets
Photos: Hellio-Vaningen/ Livelihoods Funds.
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